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Mmmknès : lundi 4 décembre 2017

Je me lève tard, Abdenbi part au café sans moi. Je rejoins le café un peu plus tard mais ne le trouve pas. Je pars faire un tour tout seul dans la ville, emprunte des chemins différents de d’habitude, plus de voitures, moins de marchés, un peu de médina, et comme je me promène seul, mon premier marchand qui veut me faire visiter sa boutique. Ca ne me manquait pas du tout.

Je suis heureux de ne pas être dans un endroit trop touristique, car c’est le genre de gens qui gâchent le séjour des occidentaux. Une fois de temps en temps pourquoi pas, mais vingt par jour c’est vraiment relou. « Bonjour, hello, ola ! Where are you from ? La France ? J’ai visité la France moi aussi, Paris, Montpellier, Toulouse… Tu viens de quelle vile, Paris ? Bretagne ? C’est près de Agen ça non ? Je suis artisan, viens voir ma boutique ! Noooon, tu n’es pas obligé d’acheter, c’est juste pour regarder ! »

De retour à la maison, je me plonge dans la lecture des pages suivantes de l’anthologie des Gnaouas. On y parle des différents Mulk (esprits, Djinns) qui sont invoqués dans la cérémonie, il y a les Samawiynes bleu ciel, les noirs Mimoun et Mimouna, mais aussi les blancs musulmans : Allah himself, Mohammed, Bilal son Muezzin, Ali, Fatimazara, et tellement d’autres. S’ensuit une discussion passionnante avec Abdenbi pour les corrections. Selon lui, l’Anthologie comporte beaucoup d’erreurs et ne couvre qu’un seul pourcent de la totalité de la culture Gnaoua.

Vers 20h je pars tout seul vers le moussem de Sidi Ali ben Hamdoush en taxi. Arrivé là bas je découvre une sorte de Saint-Chartier de musiques de confréries, mélangé à une grande braderie et un immense rayon boucherie de supermarché à ciel ouvert. Les magasins vendent pèle-mêle des plateaux d’offrandes tout préparés avec des encens du lait et des herbes, des moutons et des poulets vivants pour les sacrifices, des keftas avec la viande des sacrifices (à éviter, ce sont généralement des animaux un peu trop âgés, ca ne fait pas de la bonne viande). L’air est empli des odeurs d’urine de mouton, d’encens et de grillades. Les murs des échoppes sont tapissés avec des grands tissus colorés. Des gens vendent des chaussettes, des bijoux, des lampes de chevets « reine des neiges », des chargeurs de téléphone, du maquillage, des foulards, du matériel pour les cérémonies, des instruments de musique de mauvaise qualité, des bonbons…

La foule est dense. Je tombe sur une procession de musiciens avec des tambours et des raitas (sorte de hautbois qui se jouent en souffle continu), et les suis cahin caha dans la cohue jusqu’à une impasse couverte où les gens placent des bougies allumées dans une anfractuosité du mur. Les musiciens jouent un peu, font monter l’ambiance, les gens dansent, puis tout le monde se disperse. Je n’ai rien compris.

Un peu plus loin lorsque je pointe mon nez à l’entrée d’un garage d’où sort de la musique, un moustachu me fonce dessus parmi la foule et véhémente. Après traduction, il me demande de l’argent. Je donne 10 dirhams et il retourne à la musique. Pas très cool comme accueil, je change.

Sous une tente, des raitas et des tambours. Je suis épaté par la synchronisation des joueurs de raita, qui font des mélodies semble-t-il sans fin dans un unisson parfait. On me demande encore de l’argent pour les musiciens, plus besoin de traduction pour comprendre. Je donne un billet de 20 dirhams. Merde, le mec me parle encore et je comprends pas un mot. Mon voisin me traduit en anglais que le mec me propose de faire une prière en mon nom. Je refuse poliment. Je demande à mon traducteur si il sait où sont les gnaouas, et lui et son ami m’emmènent à travers la ville à la recherche d’une Lila.

Mon nouvel ami est un avocat de Meknès, qui s’appelle Mohammed. Il me demande si je suis marié. On parle de la difficulté d’avoir des relations d’amitié avec des femmes. Lui n’est pas marié, il me dit qu’il n’est pas pressé. Il me dit aussi qu’il y a beaucoup de prostituées au Maroc. Je ne sais pas trop quoi en penser.

On trouve une maison d’où sortent des sons de Qraqeb et de Guembri. C’est une lila qui commence. On reste un peu, mais il n’y a que les musiciens. Il manque les voyantes, les Jedda, les encens et les danseurs. On s’en va.

Nous arrivons dans une autre maison d’où proviennent des sons de flutes et de tambours. Un videur à l’entrée filtre les gens qui ont bu de l’alcool. Quand nous entrons, la musique est en pause, et il y a un début de bagarre avec des jeunes qui se sont fait refouler à l’entrée. Après quelques minutes, la musique ne reprend pas, on s’en va.

Un peu plus loin on entre dans une maison d’où sort de la musique, le videur nous laisse rentrer mais nous dit que c’est plein. Je me faufile un peu pour voir quelque chose, il y a un cercle composé de deux joueurs de flute, deux percussionnistes et une femme. Ils sont tous assis en tailleur, sauf la femme à quatre pattes. Elle est visiblement en transe. Elle agite sa tête, les cheveux détachés. Elle a la tête devant un tambour qui joue très fort. Je ne reste pas longtemps et rejoins mes amis dehors.

Un peu plus loin on entend la fin d’al aada (la partie extérieure d’une Lila). Des tambours et des Qraqeb. On rentre, et on trouve la Lila en train de commencer. Ce coup ci il y a tout. La Maqdema (voyante) et ses assistantes, les encens, le Jedda (« vétéran de la transe » selon l’anthologie de la culture Gnaoua), le public venu en nombre, et les transes. Les gens dansent sans retenue, VRAIMENT sans retenue, il faut parfois plusieurs personnes pour les tenir et éviter qu’elles blessent quelqu’un. Parfois certains tombent raides et ont des convulsions violentes. Les assistants les couvrent de la couleur de l’esprit invoqué et leur font respirer l’encens adapté. Ils en mettent aussi sur les pieds. Un homme reste vingt bonnes minutes sans bouger recroquevillé sur lui-meme au milieu de la piste.

La voyante est une grosse femme qui fait semblant de rentrer en transe. Elle se trémousse à quatre pattes avec l’air possédée, mais de temps en temps elle s’arrête pour demander aux musiciens de jouer moins fort, puis reprend immédiatement. Elle harangue le public, scande des incantations, mais ça sonne faux. A la fin de la séquence d’El Bouheli, elle distribue des morceaux de pain et de sucre à chacun des membres de l’assemblée, avec une petite prédiction personnalisée. Après les dix secondes de barrière de langage, elle m’annonce via mon ami traducteur que quelque soit ma religion, il faut que j’aille prier. Merci, j’y songerai.

Ensuite le Maalem entame la séquence des Mluk noirs, et les choses deviennent plus sérieuses. Les transes deviennent plus violentes. Des gens se roulent par terre. Les musiciens sont menacés de piétinement, le micro est en danger, mais ils ont l’air sereins. C’est normal. Un homme prend un couteau et passe la lame à toute vitesse sur sa langue, ses bras nus, sa tête, ses jambes. Il y a du sang. Ca dure un bon quart d’heure, puis la musique s’arrête. Il s’assoit au milieu de la salle, et fait quelques divinations pour les gens qui viennent le voir. Tout va bien, c’est normal.

Après la pause, les musiciens continuent le noir avec un nouveau Mluk : Fufo Jnba. Cette fois, le gars au couteau va prendre des bougies attachées ensemble par une ficelle. Il les allume, on éteint la lumière, et personne ne chante joyeux anniversaire. Au lieu de ça les assistantes de la voyante tendent un grand tissu noir au dessus de sa tête, et il passe la flamme des bougies sur ses mains, ses bras, ses pieds. Si mes notions rudimentaires de médecines sont exactes, il devrait avoir mal quelque part, mais il n’a pas l’air. Les bougies passent de main en main et plusieurs personnes font de même, sous le grand tissu noir.

Une fois que c’est fini, les musiciens font une pause, et je m’éclipse car il est déjà deux heures du matin.

Je voudrais revenir sur un détail rigolo. En fait, les pyjamas en pilou rose, c’est pas des pyjamas ! Les gens viennent à la Lila, entrent en transe avec des pyjamas Mickey ! Pull et pantalon ! Avec des robes de chambre a motifs léopard rose ! La plupart sont bien habillés hein, ne me faites pas écrire ce que je n’ai pas écrit. Mais certains et certaines, wouaw, ça pique les yeux !